La Communication Responsable – Interview croisée
La communication responsable est un outil puissant dans le cadre de la redirection écologique et sociale de notre modèle économique. Nous nous donnons rendez-vous avec Mathieu Jahnich au Social Bar à Paris pour en parler.
Quand on visite le profil Linkedin de Mathieu voilà comment il se décrit en quelques mots et hashtags :
- Conseil & recherche – Communication & transition écologique
- Sujets de prédilection : #greenwashing, #communication, #comresponsable et #transitionecologique
Les éléments sont posés clairement. Quand on lui demande directement quelle est sa profession, c’est tout aussi riche.
Mathieu est consultant et chercheur en communication responsable depuis 20 ans. Ce n’est pas un hasard s’il a cofondé Le Collectif des Chercheurs-Consultants qui met des savoir-faire au service des acteurs socio-économiques, d’une façon pratique et opérationnelle.
Oui, il est spécialiste de la communication responsable mais cette terminologie lui apparaît réductrice car elle n’englobe peut-être pas assez la notion de transition écologique. “Mon métier c’est de parler énormément de transition écologique et solidaire. Je suis gérant d’un trio d’experts sur ces sujets-là.” Pour lui ce statut de chercheur-consultant est né de l’envie d’être à la fois opérationnel tout en préservant du temps pour continuer à réfléchir. “Ce sont des sujets complexes et pourtant il faut les communiquer au grand public”.
Mathieu enseigne, à Sciences Po, comment la puissance des outils marketing et communication ajoutée à la créativité des professionnels du domaine peuvent être mises au service d’un autre modèle de société, plus soutenable et plus désirable.
Voilà de quoi présenter sommairement cette personnalité que nous sommes heureux.ses de rencontrer et le moins que nous puissions dire, c’est que nous sommes pleinement en phase avec la démarche intellectuelle.
Pour définir la communication responsable de manière très large, deux phrases sortent du chapeau :
“La communication a des impacts négatifs dans ses activités. La Communication responsable c’est prendre conscience des ses externalités négatives.“
“La communication responsable est au service de la transformation des entreprises et des territoires face aux grands enjeux.”
Communication responsable : les bases
Quand on rentre dans le cœur du réacteur de la communication responsable, il y des éléments fondamentaux qui la définissent. Et là encore, nous partageons l’analyse de Mathieu au sein de l’agence 22EME SIECLE. Avant toute chose, il suffit de se poser et de faire appel au bon sens.
En cette matière (et certainement dans toute discipline pratiquée de manière responsable), il est nécessaire garder à l’esprit le rapport entre l’efficacité des actions et leur utilité finale. Pourquoi dépenser tant de temps, d’énergie et de matières premières ? Est-ce que l’objectif et le dispositif sont bien proportionnés ?
Maximiser les effets de la communication et minimiser son impact sur les externalités négatives, c’est la base.
#simple
On aurait presque tout dit.
Si on s’arrête là, on oublie que l’essence même de la communication est d’amplifier des messages, de les faire connaître au plus grand nombre ou au contraire à une population spécifique. Une personne bien informée en vaut deux. La communication est essentielle et elle constitue un outil de transformation de notre monde. Et cette formidable puissance de communication doit être mise au service d’entreprises responsables. Nous pouvons nous poser une question : devons-nous renoncer à certains contrats soit parce que le client n’est pas responsable ou encore parce que son activité ou l’objet de la promotion est une catastrophe au regard des enjeux du 21ème siècle ?
Chez 22EME SIECLE, la réponse est oui, le renoncement est le quatrième “R” avec Réduire – Réutiliser – Recycler.
La communication est responsable lorsqu’on interroge son utilité en amont. Quelle finalité ? Se questionner sur chaque action. A quel besoin répond la communication pour la société ou l’entreprise ?
Par exemple : est-il utile d’imprimer un magazine pour l’ensemble des salariés ? Il y a une nuance entre le service rendu, générateur de valeur, la perception des messages et le potentiel gâchis (de temps et de matières précieuses). Passer au tout digital permettrait-il à ce magazine d’avoir la même efficacité ? Mais quid de l’empreinte numérique ?
#passimple
Qu’on se le dise, être responsable, ce n’est pas la voie de la facilité, surtout quand elle n’est pas ancrée dans notre culture et qu’il faut tout inventer (ou presque). On le sait, la communication responsable c’est faire des efforts pour des résultats à court et moyen termes qui permettent d’être en phase avec les enjeux de santé, de biodiversité, de climat… du présent et de l’avenir.
La raison d’être de la communication responsable
Avec Mathieu, nous nous posons plusieurs questions :
- Quelle est la raison d’être de la communication responsable ?
- Doit-on réglementer la publicité et rediriger son potentiel (culture / démocratie / bonnes nouvelles / …) ?
- Est ce que la communication est en dissonance cognitive avec l’objectif 2 tonnes de CO2 par habitant et par an, avec les ambitions de l’Accord de Paris et l’atteinte des 17 Objectifs de développement durable ?
La communication responsable accompagne à la fois les entreprises en interne pour faciliter les transitions, et aussi en externe. La communication se situe à l’interface entre des publics. Elle est au cœur des flux d’informations. En ce sens, ses protagonistes doivent être capables d’une écoute attentive.
Mathieu parle d’une “mission d’écoute”.
Trop de pub (et de mauvaise pub), tue la communication responsable (et la planète)
De manière générale, nous devons entrer dans une démarche de réduction de notre exposition à la publicité. Mais cela pose la question des nouveaux modèles économiques pour le financement des médias (aujourd’hui le modèle économique est fondé dans la plupart des médias sur le paiement des espaces publicitaires par les annonceurs).
Quid de l’interdiction de la publicité pour les produits et services n’ayant pas un éco-score suffisant (incompatible avec l’Accord de Paris) ?
Si nous réglementons la publicité au regard des limites planétaires, comment définir le seuil d’incompatibilité ou cet éco-score ? Mathieu précise que l’ADEME a réalisé un cahier des charges pour les publicités.
En tout état de cause, nous sommes d’accord sur le fait qu’il est nécessaire de réglementer la publicité liée à des produits ou services nuisibles pour notre présent et notre avenir. C’est une lame de fond qui semble de toute manière inévitable.
La publicité ne résume pas toute la communication.
La communication responsable et l’éco-conception
Nous avions toute une série de questions sur la communication et l’éco-conception. Mathieu répond qu’il y a beaucoup de littérature à laquelle nos lecteurs peuvent se référer.
Notamment l’édition toute fraîche du Guide de la Communication Responsable éditée avec l’ADEME (et dont les plumes ont été coordonnées par Mathieu lui-même et Valérie Martin). Un ouvrage sans nul doute de référence que nous n’avons pas encore lu mais qui trône à l’agence.
L’éco-conception du print, du digital et de l’événementiel relève de la même démarche évoquée ci-dessus. Cela nous ramène à la sobriété et à l’utilité (voire la finalité) de la communication.
C’est une réflexion stratégique. Comment faire de la communication frugale ? Ou l’art de communiquer moins, plus juste et mieux.
Mathieu glisse que ce n’est pas du tout dans la tendance.
Mais nous savons tous les deux qu’il n’y a pas le choix : ça va le devenir de manière spontanée (ou pas…).
La mesure, au centre de toute démarche de régulation ou d’éco-conception
On ne sait pas encore faire une évaluation multi-indicateurs. Les outils ont des limites pour mesurer l’impact.
On ne peut pas faire un bilan carbone précis de chaque action car c’est trop lourd.
Comment fait-on pour poser des indicateurs de pilotage dans une démarche de communication responsable ?
Nous avons un problème de maturité du calcul de l’impact de l’outil de communication. Et puis qu’est-ce qu’on compte ?
- Le matériel ?
- La diffusion ?
- L’acte d’achat du consommateur et ce que cela engendre ?
Le résultat pour la Planète sera bien différent entre une campagne de communication pour Easy Jet versus une campagne pour une agence de voyages éco-responsables en France.
Et puis on digresse sur la data…
Comment se libérer de la data qui nous traque sous prétexte de mieux cibler les publicités que l’on reçoit ? De quelle manière pouvons-nous assurer le respect de nos données ?
Mathieu emploie un néologisme qui a le mérite d’être clair : “nous devons déGAFAméïser nos activités de communication. Mieux vaut aller sur Leboncoin et soutenir la presse locale”.
Et il nous renvoie à une enquête de Geneviève Petit sur les Facebook Files.
… pour rebondir sur des idées « Méta »
“En tant que professionnel.le.s de la communication nous avons une oreille qui écoute le monde et une oreille qui écoute les annonceurs, les salariés, les projets d’entreprise. On doit faire le pont et on a un rôle à jouer. Il est central. On donne un rôle stratégique à la communication. La place du communicant est centrale et stratégique.”
“La communication responsable devrait aller jusqu’à transformer notre monde. Il doit y avoir une posture des dirigeants, des élus… Aujourd’hui la com’ est beaucoup trop axée sur la promesse.”
Nous aurions pu aller jusqu’à parler du mensonge, de la tromperie ou de l’utilisation des biais cognitifs.
Rediriger la communication c’est aussi parler de communication positive. Et ce n’est pas de la niaiserie. On peut contribuer à faire bouger les autres pour aider à transformer la société. Cela commence par être source d’inspiration.
Et avec Mathieu, nous sommes d’accord sur l’exemplarité de l’événementiel, outil ultra-puissant en matière de communication. Cela suppose d’être ouvert et de partager les bonnes pratiques. A rapprocher sans nul doute avec l’open source.
Dans la transformation des entreprises et des services com’, la formation et la montée en compétence des parties prenantes est évidemment la base de toute démarche de communication RSE, peu importe la discipline ou le métier.
On aurait pu d’ailleurs commencer l’article par cet aspect de formation…