Échanges avec le fondateur d’une entreprise régénérative
Dans un monde où une poignée d’explorateurs sont à la quête de solutions durables et responsables, le terme « entreprise régénérative » émerge et nous interroge. Dans le petit monde de l’impact, c’est une notion souvent évoquée mais pour le moment très rarement incarnée.
Les entreprises régénératives ne se limitent pas à des aspirations financières, elles s’inscrivent dans une mission plus vaste, qui pousse les limites de la durabilité. Elles réparent, réhabilitent, régénèrent plutôt que de simplement consommer des ressources pour créer de la croissance. Au-delà des structures qui cherchent à limiter leur impact négatif par le biais de la responsabilité sociétale, elles aspirent à créer un impact positif durable.
L’idée d’une entreprise véritablement contributive voire curative pour l’environnement peut sembler, à première vue, une utopie lointaine ou un concept éphémère ou encore du greenwashing.
Mais, grâce à notre rencontre avec Créateur de Forêt, une entreprise innovante et engagée, nous sommes désormais convaincus que la régénération n’est plus seulement une aspiration idéaliste, mais bien une réalité.
Cet article explore avec Baptiste Trény, le fondateur de Créateur de Forêt, la manière dont une entreprise peut réellement œuvrer à la régénération. C’est-à-dire, réparer l’environnement tout en créant de la valeur sociale, sociétale et économique.
Cette rencontre exceptionnelle nous fait du bien. Elle apporte une lueur d’espoir pour nos futurs, dans le paysage complexe du développement soutenable.
Baptiste Trény, un « créateur de forêt »
« Je suis un pur produit du système. J’étais bon à l’école et donc on m’a entraîné à réussir mes études, pour avoir un bon diplôme, un bon travail, une belle voiture, une belle maison. »
Il y a 3 ans, fatigué d’un quotidien entre 4 murs face à un ordinateur, Baptiste décide de casser cette routine qui ne lui apportait plus de satisfaction.
Animé par sa passion de la nature, il souhaite que son métier puisse le rapprocher d’elle. Mais sans diplôme dans le domaine, Baptiste fait face à une classique chez les entrepreneurs : le manque de légitimité autrement appelé “le syndrome de l’imposteur”.
Pour pallier cela, il rejoint la Green Management School, où il obtient un Master en Management de la transition écologique et solidaire, apportant ainsi crédibilité et réseau au projet. Cette démarche lui a permis d’intégrer une approche d’éco-socio-conception.
La prise de conscience de ce besoin de reconnexion lui est aussi venue avec la réalité criante de l’effondrement du vivant et de l’érosion de la biodiversité. C’est à ce moment-là que la graine d’une idée a germé : créer une entreprise véritablement utile, une entreprise qui contribuerait à inverser cette tendance.
Une motivation supplémentaire s’est installée : celle de pouvoir expliquer, de manière simple à ses enfants, son métier.
Ainsi est né Créateur de Forêt, un projet d’entreprise où, désormais, répondre à la question « Papa, il fait quoi ? » se traduit fièrement en : « Papa est créateur de forêt. »
Les 3 questions pour en savoir plus
À la fin de l’entretien, nous avons soumis trois questions rapides à Baptiste. Les voici.
Peux-tu nous décrire la dynamique de Créateur de Forêt avec seulement trois mots-clés ?
#vivant
#touslesBONSmoyenssontbons
#MercŶ (vous pouvez y voir un humain ou un arbre)
Une lecture ou un film à nous conseiller ?
La Fabrique des pandémies – un documentaire de Marie-Monique Robin
L’homme qui plantait des arbres – une nouvelle de Jean Giono
La Panthère des neiges – un film documentaire de Vincent Munier sur l’émerveillement
L’oiseau-forêt – un livre de Michel Munier
Quel est l’enjeu des enjeux ?
« L’enjeu fondamental c’est la préservation du vivant en intégrant l’humain. Il s’agit de rétablir la connexion essentielle avec la vie et de cultiver un amour profond pour elle. »
Maintenant, parlons entreprise régénérative et ambitions pour le futur.
L’entreprise régénérative : le choc des cultures
Créateur de Forêt est une entreprise ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), dédiée à créer et restaurer des écosystèmes propices à la biodiversité.
L’entreprise identifie des terrains dégradés appartenant à des communes et finance les projets de réhabilitation grâce aux particuliers (aujourd’hui : 969 contributeurs) ou à d’autres entreprises (aujourd’hui : 164 contributrices).
Cette activité de régénération est positive. Elle a pour objectif de promouvoir la biodiversité. Elle nous ouvre de nouveaux potentiels pour l’avenir. Cette notion d’entreprise regénérative est teintée d’espoir. Ces perspectives font du bien.
Pourtant, elle est confrontée à une législation anthropocentrée et à un déficit d’éducation à l’écologie qui est généralisé.
L’objectif : promouvoir la biodiversité
Baptiste Trény :
“Pour prendre le contrepied de l’artificialisation et du changement d’usage des sols, chez Créateur de Forêt, nous nous présentons comme des promoteurs de biodiversité.”
En France, au cours des dix dernières années, 5 terrains de football ont été urbanisés par heure. Il est nécessaire de stopper ce massacre qui est une des causes de la perte massive de biodiversité. Sans habitat, la vie se meurt. CQFD. Ce constat a motivé Baptiste à fonder Créateur de Forêt.
Trois axes ressortent de cette mission de promoteur de biodiversité :
- Planter des arbres et favoriser les écosystèmes.
- Ouvrir les espaces dans un but pédagogique : mission éducative.
- Favoriser la biodiversité sur le foncier des entreprises (notamment les sièges sociaux). Cet axe est en cours de développement.
Une protection juridique précieuse, bien que définie dans le temps
L’approche de Créateur de Forêt est globale. Elle prend en charge financièrement chaque étape du processus, avec une condition : que le terrain soit préservé pendant une période de 99 ans. Bien que cette durée puisse sembler limitée au regard des ères géologiques, elle s’appuie sur le seul outil juridique disponible pour garantir la protection à long terme de ces écosystèmes.
Les Obligations Réelles Environnementales sont des dispositifs juridiques qui contraignent le propriétaire d’un terrain à respecter des obligations spécifiques en faveur de l’environnement. Ces obligations sont attachées à l’immeuble plutôt qu’à la personne qui le possède, assurant ainsi leur continuité même en cas de changement de propriétaire.
Les ORE visent à promouvoir la préservation, la restauration ou la gestion durable des écosystèmes, contribuant ainsi à la protection de la biodiversité et à la gestion responsable des ressources naturelles.
Le défi de la formation face au développement de l’activité
Pour Baptiste, l’obstacle majeur est le manque de formation aux enjeux écologiques au sein des entreprises. Cela concerne tant les dirigeants que les employés.
De manière générale, des notions comme la durabilité et la biodiversité ne sont pas intégrées au sein des entreprises (ou de manière superficielle). Hors, pour proposer ses services, l’équipe de Créateur de Forêt doit s’assurer qu’elles soient acquises. Bien souvent, elle doit faire preuve de beaucoup de pédagogie. C’est un passage obligé qui est énergivore et chronophage.
B.T :
“Quand tu crées une pizzeria, tu n’as pas besoin d’expliquer ce que tu vends. Avec notre offre, tout est nouveau.”
L’entreprise regénérative redéfinit les critères de la réussite
Créateur de Forêt représente un nouveau genre d’entreprises qui changent la manière dont elles interagissent avec le monde. Elles doivent assurer une prospérité économique sur le long terme, tout en favorisant la biodiversité et contribuant positivement au progrès sociétal des communautés locales.
Dans une entreprise regénérative, la rentabilité financière croise le retour social et environnemental sur investissement. Si nous sommes familiers des comptes de résultats et des bilans financiers, comment mesure-t-on l’impact social ou environnemental ? Quelle valeur représente cet impact ?
Le concept de SROI (Social Return on Investment) ?
Créateur de Forêt adopte une approche complète pour évaluer les impacts positifs et négatifs de ses projets sur l’environnement, la société et l’économie.
En tant qu’agent du changement, l’entreprise ne pouvait se contenter de parler carbone. Il est nécessaire d’intégrer la biodiversité dans le bilan de chacun de ses projets, en considérant l’eau, le vivant et l’air. De la même manière, il est important de mesurer les valeurs sociales. Car le projet crée des liens sociaux, génère des emplois, offre des occasions d’enrichir des programmes d’éducation locale ou encore sert la recherche.
C’est pourquoi Baptiste et son équipe se sont tournés vers le SROI (en collaboration avec Citizing).
B.T :
“L’évaluation de la valeur du terrain réhabilité ainsi que la reconnaissance de la valeur des services écosystémiques intègre cette approche qui vise à déterminer de manière complète la contribution d’un projet à la société dans son ensemble.”
1m² de biodiversité préservée pendant 99 ans sur un projet Créateur de Forêt (soit 5€ initialement investis) rapporte en moyenne 12,9 € à la société sur la même durée. C’est un rendement de 142%.
Impacts positifs : deux grandes familles
1- Services Ecosystémiques
- Diminution des crues (et des coûts associés pour la société)
- Recharge des nappes phréatiques,
- Apports pour l’agriculture
- Richesse de la biodiversité restaurée
- Purification de l’eau (et donc coût de retraitement évité)
- Carbone stocké avant et après le projet
2- Services Sociaux :
- Nombre d’élèves impliqués dans la plantation ou qui bénéficieront du projet (sorties scolaires, support éducatif, etc…)
- Nombre de bénéficiaires du nouveau lieu de promenade estimé selon la densité de population
- Nombre de jours d’emploi générés
B.T :
“L’évaluation de la valeur du terrain réhabilité ainsi que la reconnaissance de la valeur des services écosystémiques intègre cette approche qui vise à déterminer de manière complète la contribution d’un projet à la société dans son ensemble.”
Grâce à une étude d’impact exhaustive, il est donc possible de prouver que l’entreprise regénérative est une réalité. Elle devient un moteur positif du changement sociétal.
« Le gratuit est d’une valeur inestimable. Ce qui coûte cher, c’est toute l’énergie qu’il faut pour le prouver à l’humain. »
Défis et visions pour l’avenir
L’un des principaux défis réside dans la sensibilisation et l’éducation du public sur l’importance de la régénération écologique.
B.T :
“Nous souhaitons contribuer à déclencher une prise de conscience collective, encourageant chacun à jouer un rôle actif dans la préservation de notre planète.”
En regardant vers l’avenir, la vision que l’on partage avec Baptiste, est celle d’un monde où les entreprises opèrent en harmonie avec la nature, agissant comme des gardiennes responsables de l’environnement.
Nous croyons en la création d’un héritage positif pour les générations futures, où la nature et l’humain coexistent en équilibre, bénéficiant mutuellement l’une de l’autre.
B.T :
« Adopter le modèle d’entreprise régénérative n’est pas simplement une question morale, mais une stratégie à long terme pour garantir la durabilité des activités économiques dans un monde interconnecté et interdépendant. »
C’est une opportunité de redéfinir le succès de l’entreprise en intégrant la durabilité, la régénération environnementale et la contribution sociale au cœur de son activité.